La République directoriale et son personnel politique : De la « légende noire » à un timide retour en grâce.
« Epoque pourtant passionnante, le Directoire attend encore son historien » (1), avance Patrice Gueniffey dans sa préface de Quatre-vingt quinze : La Terreur en procès, un récent essai de Loris Chavanette. Si tel constat n’est guère dénué de tout fondement, il mérite pourtant d’être tempéré. Certes, dans l’historiographie de la Révolution française, le Directoire a longtemps souffert d’une image dépréciée. En effet, il fut souvent perçu tel un temps de désordres auxquels se greffèrent les difficultés économiques, l’insécurité, l’instabilité politique et une politique extérieure ‒ marquée par des conquêtes militaires ‒ regardée comme « impérialiste ». Au demeurant, cette image noire prit corps très précocement. Ainsi, dès l’an VIII, les Directeurs avaient été dépeints comme malhonnêtes et responsables de l’instabilité politique ambiante. « Ceux qui se trouvaient à la tête du régime étaient plutôt pour naviguer sur une mer calme que dans les tempêtes » (2), postule encore Patrice Gueniffey après plus de deux siècles ; preuve s’il en est que ce poncif a la peau dure. S’il convient assurément de nuancer ces assertions, celles-ci n’en nourrirent pas moins la mauvaise réputation, instrumentalisée en temps voulu, du régime. Après le coup d’État de Brumaire, il importait en effet de légitimer le nouveau pouvoir, ce qui passa in fine par un dénigrement de la période directoriale qui servit de repoussoir au 1er Consul Bonaparte.
Dès lors, fallut-il attendre le dernier tiers du XXe siècle pour enfin disposer d’une synthèse – en l’espèce, La République directoriale de Boris Woronoff (1972) ‒ analysant les errements couramment imputés au Directoire. Cependant, la plus importante contribution à l’étude du Directoire échoit à ce jour aux quatre colloques successivement organisés entre 1997 et 2000, à Clermont, Lille, Valenciennes et Rouen. Sobrement intitulé La République directoriale, le premier s’évertue ainsi à présenter ce segment non pas comme un « intermède sans relief entre deux épopées [la Convention et le 1er Empire] » mais, au contraire, comme un « temps des possibles ». Il n’en reste pas moins que « les gouvernants ne sont pas jugés à l’aune de leurs intentions, mais de leur bilan » (3).
D’ailleurs, que sait-on précisément du profil desdits gouvernants ? Au vrai, les historiens de la Révolution française ne se sont guère appesantis sur leur cas. De fait, les Directeurs, pas plus d’ailleurs que les députés du Corps Législatif – membres du Conseil des Anciens et de celui des Cinq-Cents ‒, n’ont fait l’objet de la moindre étude récente. A la différence de leurs prédécesseurs de la Constituante et de la Convention, les députés du Conseil des Cinq-Cents ont-ils été ignorés par la recherche historique contemporaine. Ils forment par conséquent un champ d’investigation encore pratiquement vierge, un véritable « angle mort » de l’historiographie consacrée à la décennie révolutionnaire. Constat d’autant plus paradoxal que la réflexion afférente à l’« homme politique » en Révolution ‒ figure incarnée de manière privilégiée par les députés ‒ se révèle féconde.
Le costume, un attribut des députés en séance.
Élus à la faveur de quatre grands moments entre l’an IV et l’an VII, ces hommes furent envoyés siéger à Paris, d’abord dans la salle du Manège, puis au palais du Conseil des Cinq-Cents. En outre, ils reçurent l’insigne privilège de revêtir un uniforme, signe distinctif tant de leur appartenance à l’élite politique du Directoire que de leur assise dans la société post-thermidoriale. En effet, « le pouvoir directorial n’a pas échappé à la tentation d’instrumentaliser le costume, tant public que privé, pour afficher son idéologie et asseoir sa puissance » (4). Or, l’usage d’un costume officiel – fortement réglementé et largement mis en scène – obtint-il les effets escomptés ?

Ensemble de gravures par Allix et Duplessis-Bertaux, dépeignant l’uniforme prescrit en 1795. A gauche et au centre, deux députés du Conseil des Cinq-Cents ; à droite, un membre du Conseil des Anciens. La visée didactique de ces réalisations apparaît sans ambiguïtés.
« Les membres du Corps législatif et tous les fonctionnaires publics portent, dans l’exercice de leurs fonctions, le costume ou le signe de l’autorité dont ils sont revêtus ; la loi en détermine la forme », édictait la Constitution de l’an III. Dès la fin de l’été 1795, la Convention finissante avait confié à son comité d’Instruction publique la production d’« un rapport sur le costume particulier à donner à chacun des deux conseils législatifs, et à tous les fonctionnaires publics ». En octobre, confronté à son collègue Barailon, le fameux abbé Grégoire parvint à faire adopter sa proposition : en l’occurrence, une tenue fortement inspirée des pratiques vestimentaires romaines – comment s’en étonner, dans un contexte d’« anticomanie » de bon aloi ? Elle se caractérisait principalement par une « robe longue et blanche, la ceinture bleue, le manteau écarlate (le tout en laine), la toque de velours bleu ». En outre, le règlement d’habillement de l’automne 1795 ordonnait que « toutes les matières et étoffes employées aux costumes des fonctionnaires publics seraient du cru du territoire de la République, ou de fabrique nationale ».

Député du Conseil des Cinq-Cents, revêtu de l’uniforme défini en septembre 1797 – Lithographie coloriée de Delpech d’après un dessin d’Hippolyte Lecomte, vers 1815-1820.
Toutefois, en juin 1796, l’habillement décrété n’avait toujours pas été introduit ; jamais il ne le serait d’ailleurs. Malgré tout, le costume des parlementaires continua de faire l’objet d’attentions constantes. Elles se traduisirent par la mise en place – en janvier 1797 ‒ d’une commission spécifique dont les réunions aboutirent – en septembre de la même année ‒ à l’instauration d’un nouveau règlement d’habillement.

Armand-Gaston Camus – Portrait gravé par François Bonneville. Ce Conventionnel porte ici un habit civil. Probablement conserva-t-il semblables habitudes vestimentaires durant son mandat de député au Conseil des Cinq-Cents.
Il fallut cependant attendre quatre mois supplémentaires ‒ lorsque le Conseil des Cinq-Cents s’installa dans les murs de l’actuel Palais-Bourbon ‒ pour que les députés se vêtissent enfin de leur nouvel uniforme. Dessiné par Jacques-Louis David, celui-ci se composait théoriquement d’un manteau de casimir rouge orné d’une alternance de palmettes et tridents en laine bleu, d’un « habit français » en drap bleu, rehaussé d’une ceinture-écharpe de soie tricolore. Une toque de velours rouge à turban bleu, agrémentée d’une aigrette tricolore, complétait cet habit. Les membres des Cinq-Cents se trouvèrent néanmoins privés de leurs manteaux. Le ministre de la Police Générale Solin les avait effectivement fait saisir à Lyon au motif qu’ils étaient fabriqués à l’aide de casimir anglais, en complète infraction avec les dispositions d’octobre 1795. Lesdits manteaux furent finalement distribués à leurs destinataires au mois de mai.
Pour autant, nombre de membres des Cinq-Cents ne prirent nullement la peine de s’affubler de leur longue robe de casimir rouge, si bien qu’apercevoir un député déambuler en costume se révélait d’une insigne rareté. Et de fait – à l’instar des Conventionnels, leurs prédécesseurs ‒, ces hommes conservèrent fréquemment leurs habits civils, réticents qu’ils étaient de revêtir un uniforme à l’allure ridicule. S’y ajoutait le « sentiment de l’inutilité d’une telle dépense pour parader uniquement dans l’enceinte de l’assemblée » (5). En effet, la Constitution de l’an III stipulait que les députés du Corps législatif « n’assistaient à aucune cérémonie publique et n’y envoyaient pas de députation ».
Intentions évidentes, résultats décevants.
Ainsi, le choix la tenue dévolue aux députés du conseil des Cinq-Cents fut-il « longtemps un sujet de discussion et d’incertitude ». En outre, quoiqu’il ait cherché à la réglementer, le Directoire pouvait légitimement être déçu. Les décisions arrêtées mirent des mois à se concrétiser, toujours imparfaitement de surcroît : en effet, « il y a parfois loin entre les intentions et les résultats ». Enfin, le costume devait impressionner les citoyens et ainsi obtenir leur soumission. Or, bien que drapés dans le rouge et la soie du pouvoir, il n’est guère évident que les députés aux Cinq-Cents aient été plus respectés par leurs administrés.
Des sources multiples mais disparates.

Toque de député au Conseil des Cinq-Cents – Collections du château-musée de Lunéville. Il s’agit de l’une des pièces à avoir échappé au terrible incendie qui ravagea ce site le 2 janvier 2003.
La conservation à travers le temps d’effets attribuables à des députés au conseil des Cinq-Cents s’avère d’une indéniable rareté. Une toque figure ainsi au sein des collections du château de Lunéville, tandis qu’un manteau appartient à celles du Galliera, musée de la mode de la ville de Paris.

Jean-Baptiste Desmolin (1751-1813) – Député du Gers en vendémiaire an IV, Desmolin se montra un parlementaire des plus actifs. Ici représenté par Laneuville, il arbore la fameuse robe rouge et l’emblématique toque – Collections du Musée de Vizille, Wikimedia Commons.
Par conséquent, les sources iconographiques se révèlent précieuses pour une approche pertinente de l’habit des députés. Empreintes d’une évidente visée pédagogique, les gravures d’Alix et de Duplessis-Bertaux restituent le projet avorté des années 1795-1796. Quant à celle due à Hoffmann, elle forme sans nul doute l’une des plus fidèles représentations du costume propre aux années 1798 et 1799.
Durant la décennie révolutionnaire, « le portrait peint demeure le principal mode de représentation de la personne humaine » (6), rappelle Emmanuel de Waresquiel. Initialement réservé à une élite, il se démocratisa au fil des transformations culturelles et sociales de l’époque. Au vrai, le portrait correspondait à un véritable enjeu de société : « ce n’est pas seulement parce qu’ils souhaitaient fixer les preuves de leur réussite par la propriété, le grade et la fonction » que les membres de l’élite se faisaient représenter, « c’était aussi dans le but de conserver pour la postérité une image d’eux-mêmes aussi fidèle que possible, tels qu’ils voulaient être vus par les autres » (7). Les députés Michel-Louis Talot (du Maine-et-Loire), Pierre-Sébastien Boulay-Paty (de la Loire Inférieure) ou Jean-Baptiste Desmolin (du Gers) se firent ainsi représenter arborant costume et attributs de leur fonction. Pierre-Thomas Rambaud (du Rhône) choisit, lui, d’apparaître en habit d’une austérité toute bourgeoise. De la sorte, il s’avère impossible d’identifier a priori un représentant au Conseil des Cinq-Cents.

Charles-François Joseph Foncez (1752 – ), élu député au conseil des Cinq-Cents en germinal an VI. Il y représenta le département belge de Jemmapes – Portrait gravé à l’aide du physionotrace par François Gonord.
Marquée par une incontestable « manie de la portraiture », la République directoriale se révéla fort favorable aux affaires des miniaturistes, physionotracistes et marchands d’estampes de qualité. Ceux-ci répondaient à une demande simultanée d’« hommes politiques » ayant perçu « l’importance des différents supports médiatiques dans la construction des carrières et la légitimation de la représentation nationale auprès du public » (8). La mise en place d’un système représentatif conduisit ces derniers à développer les moyens de communication les plus efficaces ; car pour être populaires, pour gagner en visibilité à l’échelon local comme dans les Conseils du Directoire, ils se devaient d’être vus et reconnus non seulement par leurs pairs ou leurs opposants, mais encore – et surtout ‒ par leurs électeurs potentiels. C’est dans cette donne spécifique qu’il convient de replacer les productions de François Bonneville et de François Gonord.

Paul-François Bontoux (1763-1813), député élu par le département des Basses-Alpes en vendémiaire an IV – Portrait gravé par François Gonord.
Celles du premier nommé présentent au demeurant des caractéristiques communes à d’autres séries concurrentes : des portraits en buste, dessinés de trois-quarts et permettant une représentation correcte de la physionomie et du costume. En réalité, Bonneville se borna à un réemploi de gravures déjà existantes. De simples modifications de la titulature assurèrent leur mise au goût du jour, comme en témoignent – entre autres – les portraits des députés Louvet, Quatremère de Quincy et Pastoret. Amy Freud remarque que les députés de la Constituante avaient acquis telles productions durant leur mandat, parfois à plus de 30 exemplaires. Certains les avaient employées comme instruments de leurs ambitions politiques, lorsque d’autres les avaient perçues comme de simples souvenirs (9). Probablement ces logiques valurent-elles également pour leurs successeurs du Conseil des Cinq-Cents.
Quant au Rouennais François Gonord, il devint peintre du Corps Législatif sous le Directoire et prit alors son épouse pour associée. Opérateur du physionotrace, il ambitionnait de publier les portraits de l’intégralité des députés siégeant au sein des deux Conseils directoriaux en l’an VII. Gravées à l’aquatinte puis imprimées sur vélin pour un prix de vente de 3.75 francs l’une, ses planches comportaient 20 portraits en médaillon, se détachant sur un fond rectangulaire imitant le marbre. Le coup d’Etat de Brumaire porta néanmoins un coup fatal à ce projet d’envergure : en effet, qui se soucierait désormais des membres du Corps Législatif de l’an VII ? Aussi, cette collection s’avère-t-elle très incomplète, puisque seules 6 feuilles ‒ soit 120 portraits sur un total de 750 possibles ‒ sont recensées. Ce même Gonord publia une autre suite gravée traitant des membres du Corps Législatif. Comportant une titulature détaillée, sans doute ces portraits se muèrent-ils en outils promotionnels aux mains des députés. Seuls les médaillons figurant Bontoux (des Basses-Alpes), Chapelain (de la Vendée) et Couturier (de la Moselle) sont actuellement recensés, démonstration incontestable de leur rareté.
Notes.
(1) Chavanette, Loris, Quatre-vingt quinze : La Terreur en procès, 2017, p. 13.
(2) Ibid, p.12.
(3) Ibid, p.12.
(4) Waquet, Dominique, « Costumes et vêtements sous le Directoire : Signes politiques ou effets de mode ? », Cahiers d’Histoire – Revue d’Histoire critique, 129, 2015.
(5) Ibid.
(6) Waresquiel, Emmanuel de, L’Histoire à rebrousse-poil : Les élites, la Restauration, la Révolution, 2005, p.144.
(7) Ibid.
(8) Mazeau, Guillaume, « Michel Biard (dir.), Les représentations de l’’homme politique’ en France, Rouen », Annales historiques de la Révolution française, 351, 2008, p. 227.
(9) Freud, Amy, « The Legislative Body : Print Portraits of the National Assembly, 1789-1791 », Eighteenth-Century Studies, 41, 3, 2008.
Bibliographie.
- Biard, Michel (dir.), Les représentations de l’« homme politique » en France, 2006.
- Chavanette, Loris, Quatre-vingt quinze : La Terreur en procès, 2017.
- Collectif, Au temps des merveilleuses : La société parisienne sous le Directoire et le Consulat, 2005.
- Freud, Amy, « The Legislative Body : Print Portraits of the National Assembly, 1789-1791 », Eighteenth-Century Studies, 41, 3, 2008.
- Lentz, Thierry, « La vie politique du Directoire pendant la campagne d’Italie », Revue du Souvenir Napoléonien, 412, 1997.
- Richard-Desaix, Ulric, « Portraits gravés par François Gonord », L’Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 1, 1906.
- Waquet, Dominique, « Costumes et vêtements sous le Directoire : Signes politiques ou effets de mode ? », Cahiers d’Histoire – Revue d’Histoire critique, 129, 2015.