Poussières d’Empire : L’archéologie des champs de bataille

Deux siècles se sont écoulés depuis la fin du 1er Empire. Année après année, champs de bataille, charniers et sites de bivouac continuent pourtant de restituer des vestiges, infimes parcelles du passé. Ceux-ci proviennent en premier lieu des champs de bataille. A l’issue des combats, les victimes étaient inhumées sur les lieux mêmes de leur décès. Lorsque des pics de mortalité survenaient en raison de combats violents ou que l’urgence s’imposait, les corps étaient hâtivement regroupés dans des fosses, ce qui impliquait des économies de temps, comme de moyens. Sur certains champs de bataille difficiles d’accès, tels celui de la Nivelle (automne 1813), il est probable que les corps attendirent plusieurs jours une sépulture décente. Par ailleurs, les découvertes de charniers, comme ceux de Vilnius et d’Erfurt (2001, 2004) apportent leur écot à l’histoire militaire. Surtout, elles permettent de mettre en évidence des causes de décès multiples : typhus, faim, froid et épuisement. Enfin, les sites de cantonnement ou de bivouac sont également pourvoyeurs de vestiges et permettent d’appréhender plus finement la vie quotidienne des soldats.

L’étude de ces vestiges s’inscrit dans une dynamique relativement récente, ayant émergé aux Etats-Unis avant de se développer en Europe : l’archéologie des conflits contemporains, aussi dénommée « archéologie des champs de bataille ».

Cet article présente une sélection d’artefacts retrouvés sur divers terrains où s’affrontèrent les armées de 1792 à 1815. 

Vie quotidienne du soldat et de l’officier.

Du bivouac au fracas du champ de bataille.

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  1. Les soldats croyaient en Dieu et trouvaient dans la religion un soutien dans leurs épreuves. Sans doute espéraient-ils être protégés par ces crucifix ou ces médailles pieuses. Las, sur les champs de bataille espagnols comme sur ceux de Russie, la mitraille a indifféremment frappé leurs rangs, jonchant le sol d’inutiles porte-bonheur.
  2. Chaque soldat disposait, dans une petite trousse de drap, d’un nécessaire de couture permettant de raccommoder des uniformes mis à rude épreuve. Ces dès à coudre proviennent l’un de Belgique, l’autre des Pyrénées.
  3. Ramassé sur un champ de bataille de la campagne de Saxe, voici tout ce qu’il reste d’un rasoir. Cet instrument s’avérait indispensable dans les armées de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle.
  4. Dès, osselets et cartes constituaient autant de moyens de distraction qui faisaient oublier aux soldats les misères de leur condition. Probablement réalisés à l’aide de balles de mousquet, ces deux dès à jouer ont été ramassés sur un champ de bataille de la campagne de Russie. Quant à l’osselet, il provient du champ de bataille de la Nivelle.
  5. La pipe en terre était largement répandue dans les armées impériales. La fragilité de cet objet explique, qu’à ce jour, aucun exemplaire n’ait été retrouvé intact.

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  1. Cachet monogrammé retrouvé sur un champ de bataille de la campagne de Russie.
  2. Fragment d’un compas d’officier provenant d’un champ de bataille pyrénéen.
  3. Ces boutons de manchette ayant appartenu à des officiers laissent augurer du sort tragique de leurs propriétaires, soucieux de leur élégance jusqu’à l’instant du sacrifice.

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Bibliographie : Maison de l’Empereur et Grand Quartier Général Impérial

Depuis plus de quinze mois, « La Moustache » était demeurée silencieuse. Elle reprend aujourd’hui la plume et revient avec un bref tour d’horizon de la bibliographie récente consacrée à la Maison de l’Empereur et au Grand Quartier Général Impérial.

La Maison de l’Empereur n’a guère passionné les historiens. A l’instar de Charles-Otto Zieseniss, nombre d’entre eux ont vu dans les archives de cette institution – conservées en sous-série O2 aux Archives Nationales – « des cartons et registres regorgeant de factures et d’états de paiement », rien de plus. De fait, la bibliographie disponible s’avère d’une extrême pauvreté. Dans ce contexte, l’étude du commandant Eugène-Louis Bucquoy fit longtemps figure de référence, alors même que l’auteur y développait avant tout une approche uniformologique.

Napoléon et ses hommes Pierre BrandaIl fallut attendre 2011 et la publication d’un ouvrage de Pierre Branda, Napoléon et ses hommes, pour – enfin ‒ disposer d’une étude étayée sur le sujet. S’appuyant largement sur la série O2 susmentionnée, l’auteur étudie minutieusement les rouages de la Maison et démontre comment cet Etat dans l’Etat, « cette armée de serviteurs », constitua un très efficace outil de protection et de mise en valeur de la figure impériale. Pierre Branda a également publié dans Napoleonica-La Revue des articles sur des sujets connexes, notamment un stimulant « Le Grand Maréchal du Palais : Protéger et servir », s’intéressant aux attributions de Duroc, puis de Bertrand.

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« J’étais à Leipzig » : Jean Moisson, fusilier au 153e régiment d’infanterie de ligne

Sur la couverture en vélin d’un livret militaire du 1er Empire, un nom – « Moisson » – a été inscrit à l’encre brune. La vingtaine de pages qui compose ce document permet de tirer de l’oubli son propriétaire, un simple fusilier du 153e régiment d’infanterie de ligne. Voici son histoire …

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Livret militaire de Jean Moisson, fusilier au 153e régiment d’infanterie de ligne.

7 avril 1789. D’une écriture appliquée, Martin, curé vicaire de la Ferté-Loupière ‒ petit village yonnais alors fort de 1160 âmes ‒, enregistra la naissance de Jean Egésiphe Moisson sur le registre paroissial. Le nouveau-né était le fils de Jean-Louis Moisson, exerçant la profession de charpentier, et de Marie-Marguerite Brisepot. Lorsque cette dernière mit au monde son premier enfant – aîné d’une fratrie de quatre (1) ‒, elle était âgée de 18 ans seulement. Elle avait épousé Jean-Louis Moisson, de onze ans son aîné, en 1783.

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Acte de baptême de Jean Moisson, 7 avril 1789. Ont signé Jean-Louis Moisson, le charpentier Edmé-Jacques Parly – parrain du nouveau-né – et Martin, prêtre vicaire de la Ferté-Loupière.

La jeunesse de Jean nous est presque tout à fait inconnue. Sans doute fréquenta-t-il, dès son plus jeune âge, l’atelier de son père. Lui-même devint d’ailleurs charpentier et s’établit à Charny (2), chef-lieu de canton situé à quelques kilomètres au nord-ouest de la Ferté-Loupière.

Yonne, 1809 : Un « bon numéro » ?

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Tirage au sort des conscrits au chef-lieu de canton – Gravure coloriée de Jenet.

Né en 1789, le jeune charpentier était conscrit de la classe 1809. A l’issue de la réunion des conscrits à Charny, Jean – disposant du numéro 92 sur la liste de désignation du canton (3) – ne fut pas inscrit sur les listes de départ. Comment expliquer cet état de fait ? Avait-il tiré un « bon numéro » ? Sa famille fut-elle en mesure de financer le coût d’un remplaçant ? En l’état actuel des recherches et en raison du mutisme des sources sur ce point, nous ne pouvons opter pour l’une ou l’autre hypothèse. En tout cas, il semble exclu qu’il ait intégré la compagnie de réserve de son département. En 1810, Jean était présent dans l’Yonne, puisqu’il assista – le 27 février de cette année là – au baptême de Stéphanie Adrienne Louise Laure, qui survécut 8 jours seulement (4).

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Les camps de Boulogne, 1803-1812

Bonaparte 1er Consul Gravure hollandaise

Bonaparte, 1er Consul – Gravure hollandaise, 1802.

A la mi-mai 1803, l’Angleterre rompit unilatéralement le traité de paix conclu treize mois plus tôt avec la France. En réponse, le Premier Consul Bonaparte reprit à son compte le projet d’invasion de l’Angleterre que lui avait confié le Directoire cinq ans auparavant. Par conséquent, il décida de créer une Flottille de bateaux à fond plat (1), destinée à faire traverser la Manche à l’Armée des Côtes de l’Océan, et six camps s’étalant de la Hollande à Bayonne, mieux connus sous l’expression générique – et erronée ‒ de « camps de Boulogne » (2).

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Les hérauts d’armes de Napoléon, 1804-1815

Paris, cathédrale Notre-Dame, 2 décembre 1804. Au bas des marches du trône, son bâton couronné et semé d’abeilles reposant sur la hanche, « Duverdier, ‘faisant fonction de chef des hérauts d’armes et aussi messager d’Etat’, prend place au centre de la nef principale. L’assemblée paraît retenir son souffle. Elle attend l’événement fondateur. Et Duverdier de proclamer : ‘Le très glorieux et très auguste Empereur Napoléon, Empereur des Français, est couronné et intronisé. Vive l’Empereur !’ » (1).

Créé à la fin du Moyen Age, l’office de héraut d’armes perdura sous l’« Ancien Régime », avant d’être supprimé lors de la Révolution. Napoléon le recréa néanmoins dès la formation de sa Maison, en 1804. Retour sur les parcours et les attributions de ces hommes.

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Conférence de Patrice Courcelle : « Les soldats des guerres napoléoniennes : Qui étaient-ils vraiment derrière la légende ? »

Il s’agit d’un sujet extrêmement vaste. Par conséquent, on se focalise sur l’armée française, qui constitue tout un monde en soi.

On s’intéresse couramment aux figures les plus fameuses, celles des maréchaux et des officiers-généraux, mais finalement peu aux « pousse-cailloux ». Ces derniers sont assurément les moins connus. Jetés sur les routes et les chemins, combattant loin de leurs foyers, ils subsistent au quotidien dans des conditions dramatiques.

Soldats infanterie légère Patrice Courcelle

Fantassins d’infanterie légère au Règlement de 1812 – Illustration originale de Patrice Courcelle.

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Brève histoire de l’uniformologie – Partie 2 – Les XIXe et XXe siècles, un âge d’or ?

Cet article fait suite à une étude consacrée aux pionniers de l’uniformologie

Faire vivre l’épopée impériale.

Après Waterloo, le souvenir de Napoléon connut une éclipse relative. Perçu tant comme un dictateur que comme le fossoyeur de la Révolution, sa figure cristallisa l’hostilité des royalistes et d’une partie des républicains. La défaite de 1871 face à la Prusse, les désordres de la Commune et la perte – induite – de prestige de la France à l’échelle continentale, offrirent à l’Empereur l’occasion de revenir dans l’imaginaire national et de s’y faire une place sous les traits du stratège, du visionnaire et du « Petit Caporal ». Au demeurant, c’est cette vision de la figure impériale que s’attachèrent à glorifier les artistes du XIXe siècle tels Bellangé, puis « JOB » quelques décennies plus tard.

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Brève histoire de l’uniformologie – Partie 1 – Le temps des pionniers

Etude des uniformes et des effets militaires à travers les âges, l’uniformologie constitue une « science auxiliaire » de l’Histoire ; science cependant ambiguë en cela qu’elle ne se départit guère d’une part de fantaisie.

Volonté d’identifier les uniformes des forces adverses ou simple curiosité, exaltation du patriotisme : autant de motifs qui donnèrent lieu, à la fin du XVIIIe siècle, aux premiers essais d’uniformologie raisonnée. Au demeurant, c’est aux pionniers de la discipline que cet article – premier d’une trilogie – est consacré.

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A propos d’un lavis inédit de Louis-Philippe Crépin

Voici quelques jours, je sollicitais l’aide des lecteurs de l’excellent blog Trois Ponts, afin d’identifier un lavis du fameux peintre de la Marine Louis-Philippe Crépin (1).

Combat de la canonnière Crépin

Deux hypothèses me furent rapidement adressées :

  1. Un internaute postula qu’il s’agissait d’un combat ayant impliqué le corsaire granvillais Le Grand Grenot. Ce navire ayant été construit en 1745, le combat représenté se serait déroulé au cours de la décennie suivante.
  2. Simultanément, un autre lecteur m’indiquait que mon lavis représentait vraisemblablement un engagement ayant eu lieu, le 21 avril 1806, entre la frégate la Canonnière et deux navires britanniques.

Retour sur ces événements méconnus …  Lire la suite