« Ce que je désirais, le voilà sous mes yeux ; c’est le physionotrace, cette invention charmante qui offre aux curieux l’assemblage le plus varié et le plus nombreux des portraits des deux sexes. Je m’y attache en rêvant, et pendant ce temps la foule me coudoie, elle me meurtrit le dos » (1). Ainsi s’exprimait Louis-Sébastien Mercier qui – à l’occasion d’une flânerie solitaire sous les arcades du Palais-Royal – était tombé en arrêt devant une vitrine de physionotraces, ces petits portraits gravés obtenus à l’aide d’une « machine à dessiner » et jouissant, dès le milieu des années 1780 et jusqu’au début des années 1830, d’une popularité certaine.
Cinq minutes devant la « machine ».
L’auteur du fameux Tableau de Paris n’eut vraisemblablement pas la hardiesse de franchir le seuil de cette boutique. Par conséquent, il convient de restituer le cadre que devaient découvrir les clients des opérateurs du physionotrace. En premier lieu, leur regard se posait sur la « machine à tirer les profils », qui suscitait le vif intérêt du public « éclairé » en quête d’expériences tout à la fois scientifiques, amusantes et spectaculaires. Les opérateurs de ce procédé furent généralement peu diserts quant au fonctionnement de ladite machine. Comme le remarque René Hennequin – biographe du « physionotraciste » Edmé Quenedey –, « du physionotrace en tant qu’appareil, de la manière dont il s’employait et du résultat obtenu de sa mise en mouvement, notre auteur ne souffle mot » (2). Au cours des années 1790, il réalisa néanmoins un croquis du physionotrace [Fig.1], depuis lors source de débats et de conjectures entre historiens de l’art. Chrétien, pour sa part, décrivit allusivement l’appareil comme « une combinaison ingénieuse de deux parallélogrammes dont l’objet est de maintenir parallèlement à elle-même la règle qui porte le crayon ainsi que l’objectif » (3). Sous la Restauration – durant laquelle la vogue des physionotraces tendit à s’évanouir –, Bouchardy eut « l’extrême complaisance d’expliquer tous les détails de l’instrument » à l’un des rédacteurs du Nouveau Dictionnaire universel des Arts et Métiers, qui relata cette rencontre avec force précisions (4). Placé dans la position de « sujet consentant d’une expérience visuelle (…), conscient de prêter son corps à l’un des instruments emblématiques du progrès de la connaissance et des techniques » (5), ce dernier eut de surcroît l’honneur d’une séance de pose.
Du physionotrace aux physionotraces : un cycle de production d’une grande brièveté.

[Fig.2] En dépit de cette représentation, le fait qu’il existe des portraits de trois-quarts forme la preuve qu’aucune projection lumineuse n’était nécessaire lors de la prise des profils.
Au demeurant, face au physionotrace, les membres de la bourgeoisie obéissaient avec docilité aux indications de l’artiste-machiniste [Fig.2] : « Après avoir placé un fauteuil fait exprès, en face d’une croisée, [Bouchardy] a posé le physionotrace à deux pieds environ vers la gauche du fauteuil, sur lequel je me suis assis ». Le sujet se plaçait de profil dans l’encadrement de l’appareil, la tête calée par un support : « Mon dos, à la hauteur des épaules, appuyait contre un morceau de bois mobile qu’il a fixé, et mon occiput appuyait aussi contre le bout de deux morceaux de bois qu’il fixa après avoir donné à ma tête la position convenable. Il m’invita à ne pas bouger de cette position, en fixant toujours le même objet ; alors il ne me voyait qu’en profil ». Cette assertion rappelle que le client n’avait pas le choix de la pose et ne pouvait choisir, quant à l’expression, qu’entre deux options : le sourire ou le sérieux.