A propos d’un lavis inédit de Louis-Philippe Crépin

Voici quelques jours, je sollicitais l’aide des lecteurs de l’excellent blog Trois Ponts, afin d’identifier un lavis du fameux peintre de la Marine Louis-Philippe Crépin (1).

Combat de la canonnière Crépin

Deux hypothèses me furent rapidement adressées :

  1. Un internaute postula qu’il s’agissait d’un combat ayant impliqué le corsaire granvillais Le Grand Grenot. Ce navire ayant été construit en 1745, le combat représenté se serait déroulé au cours de la décennie suivante.
  2. Simultanément, un autre lecteur m’indiquait que mon lavis représentait vraisemblablement un engagement ayant eu lieu, le 21 avril 1806, entre la frégate la Canonnière et deux navires britanniques.

Retour sur ces événements méconnus … 

Le 21 novembre 1805, la frégate de 40 canons la Canonnière (2) – commandée par le capitaine de vaisseau César De Bourayne (3) – appareilla du port de Cherbourg et mit le cap sur l’Ile-de-France – l’actuelle île Maurice -, afin d’y rejoindre l’escadre de l’amiral Linois (4). Néanmoins, lorsque la frégate arriva à destination, Linois croisait au large du cap de Bonne-Espérance. Bourayne décida de l’y rejoindre.

Vers 6h du matin, le 21 avril 1806,  les vigies de la Canonnière repérèrent un convoi de 11 navires de la Compagnie des Indes, escortés par 2 vaisseaux anglais, l’Hindouistan  (60 canons, capitaine Alexander Fraser) et le Tremendous (74 canons, capitaine John Osborn). Vers 10h, ce dernier se détacha du convoi avec l’intention évidente d’intercepter la Canonnière. Vers 15h40, les deux adversaires hissèrent leur pavillon et leur flamme et le combat s’ouvrit par un duel d’artillerie à courte portée.

Une vingtaine de minutes plus tard, le Tremendous parvint à une demi-portée de fusil de la frégate française. Tandis que les canons – mal pointés – du Tremendous causaient d’infimes dommages à son adversaire, De Bourayne mit son navire en ralingue (5) et fit envoyer une bordée aux effets dévastateurs.

Peu après, la Canonnière fut elle-même accablée par un déluge de boulets et de projectiles. Simultanément, l’habileté des canonniers français contribua à démâter le Tremendous. Miné par de multiples avaries, celui-ci dut se replier sur son convoi.

« A peine la Canonnière était-elle débarrassée du vaisseau, qu’elle se vit obligée de faire les préparatifs d’un nouveau combat. Un bâtiment, qui avait l’apparence d’une grande frégate [il s’agit de l’Hindouistan], se dirigeait à pleines voiles sur elle, et bientôt il se trouva au vent, à portée de canon » (6).  Après avoir lâché une volée sur tribord, l’Hindouistan fit feu avec sa batterie de bâbord avant de s’enfuir, vent arrière.

Profitant de l’agilité que lui assurait le petit gabarit de sa frégate, César De Bourayne sortit vainqueur de ce combat. Les pertes françaises s’avéraient minimes : elles s’élevaient à 4 marins tués et 25 autres blessés, dont 7 grièvement.

En outre, ce combat – l’un des rares succès enregistrés par la marine française sous l’Empire – suscita l’intérêt des historiens (7) et, surtout, des peintres de la Marine. Louis-Philippe Crépin en tira en effet une toile exposée au Salon de 1808 (8). Son élève, Pierre-Julien Gilbert, fit de même (9).

Dans l’hypothèse où notre lavis représente effectivement ce combat, un constat préalable s’impose : Crépin a ensuite fortement remanié l’organisation de sa composition, pour aboutir à l’oeuvre aujourd’hui exposée à Paris, au Musée de la Marine. Par ailleurs, notons qu’il a simplifié le déroulement chronologique de l’engagement, puisqu’il juxtaposa les deux phases du combat :

  • Le duel d’artillerie opposant la Canonnière au Tremendous.
  • Le combat avorté avec l’Hindouistan. On repère les vaisseaux de la Compagnie des Indes à l’arrière-plan.

Les recherches sur ce lavis ne sont nullement terminées. Par conséquent, ces quelques notes seront sans doute complétées dans les semaines à venir.


Notes.

(1) Né à Paris en 1772, Louis-Philippe Crépin fut nommé peintre officiel de la marine en 1830. De la sorte, il disposait d’un atelier au Ministère. Elève de Joseph Vernet, il avait servi 4 années durant dans la marine, comme gabier et timonier. Il réalisa un grand nombre de toiles dédiées à l’histoire navale de la Révolution et de l’Empire.

(2) Frégate de 48 canons d’origine française, la Canonnière avait été capturée et mise au service de la Royal Navy en 1795 sous le nom de la Minerve. Elle fut reprise aux Anglais après son échouage à Cherbourg, survenu en 1803.

(3) Né à Brest le 22 février 1768, César de Bourayne fut nommé capitaine de frégate en 1796. De 1800 à 1802, il assura le commandement de la frégate la Fidèle. En 1803, il devint capitaine de vaisseau et prit le commandement de la Canonnière, sur laquelle il se rendit célèbre pour ses combats dans l’Océan Indien et en mer de Chine.

(4) On lira avec intérêt le dernier dossier de Gloire et Empire, consacré à l’outre-mer sous le Premier Empire.

(5) La ralingue correspond à l’état d’un navire dont les voiles sont dégonflées.

(6) Hugo, Abel, France militaire : Histoire des armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1833, tome 3, p. 317.

(7) Adolphe Thiers narra ainsi ce combat dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, publiée en 1849.

(8) Cette toile est aujourd’hui l’une des pièces maîtresses du Musée de la Marine de Paris.

(9) L’oeuvre est actuellement exposée au Château de Versailles.


Bibliographie.
  • Bellec, François, « Les peintres de la Marine et l’outre-mer », in Bonnichon, Philippe, Gény, Pierre, Némo, Jean, Présences françaises outre-mer (XVIe-XXIe siècles), tome 2, Karthala, 2012.
  • Duburquois, Maurice, A l’Est du Cap des Tempêtes : La Royale dans l’Océan Indien et la Mer de Chine, Yves Salmon Editeur, 1982.
  • « César de Bourayne », in Hennequin, Joseph-François Gabriel, Biographie Maritime ou notices historiques sur la vie et les campagnes des marins célèbres français et étrangers, Regnault Editeur, 1835, p. 264-278.

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